Lors de la préparation d’une demande de désignation de médicament orphelin (ODD) au sein de l’Union européenne (EU), il faut tenir compte des principaux critères d’éligibilité qui sont différents de ceux exigés par l’agence américaine des denrées alimentaires et des médicaments (Food and Drug Administration ou FDA).
L’un des facteurs clé, est de justifier du “bénéfice significatif” (défini ci-dessous) de votre médicament par rapport aux thérapies existantes pour la maladie orpheline dans laquelle le médicament est indiqué .
Le critère de bénéfice significatif contribue considérablement au succès de l’obtention de la demande de désignation de médicament orphelin. Mais cela, sous réserve de suivre une démarche adéquate, comme cela a été précisé dans deux publications de l’agence européenne du médicament (EMA) en collaboration avec son Comité des médicaments orphelins (COMP) (1, 2). Le COMP est en effet chargé d’examiner les demandes de désignation de médicament orphelin.
Définition d’un bénéfice significatif
L’EMA exige que trois critères réglementaires uniques soient remplis par toutes les demandes de statut ODD :
- Le médicament doit traiter, prévenir, ou diagnostiquer une maladie qui met la vie en danger ou qui est chroniquement invalidante.
- La maladie ne doit pas concerner plus de cinq personnes sur 10 000 dans l’ensemble de l’Union Européenne.
- Aucune méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement ne doit être disponible, dans le cas contraire, le médicament doit apporter un bénéfice significatif pour les personnes affectées par la maladie.
En 2020, l’EMA a reçu 235 demandes ODD, dont seulement 149 ont reçu le statut ODD. Pour celles qui ont été approuvées, 64 % ont été accordées sur la base de l’apport d’un bénéfice significatif (3).
Le terme “bénéfice significatif ” a été introduit dans la réglementation par le règlement européen 141/2000, et n’a pas d’équivalent en dehors de l’Union Européenne (4).
Il est important de démontrer l’apport de ce bénéfice significatif. Sans cette démarche, le demandeur du statut de médicament orphelin n’est pas en mesure de bénéficier des incitations mises en place par l’EMA pour favoriser le développement des médicaments orphelins (exclusivité commerciale, élaboration de protocole, exonération de redevance etc.).
Un dossier ODD où les données comparatives ne sont pas prises en compte de façon adéquate peut jouer en défaveur de l’obtention du statut orphelin et par conséquent, peut empêcher l’accès à de nouveaux médicaments pour les patients (1).
Comment justifier d’un avantage significatif pour le succès de la demande ODD ?
Afin de justifier de l’apport d’un bénéfice significatif pour votre produit, vous devez vérifier si des méthodes satisfaisantes existent déjà. L’EMA et le COMP insistent sur la nécessité de faire la distinction entre méthode satisfaisante et méthode efficace.
En effet, bien qu’un médicament ne soit pas curatif ou entièrement efficace, il peut être considéré comme satisfaisant, du point de vue réglementaire, tant que le bénéfice/risque est considéré comme positif. (1)
L’EMA et le COMP ont identifié les méthodes de traitement (prévention ou diagnostic considérées comme satisfaisantes), comme suit :
- Un médicament et/ou une méthode dont l’utilisation est autorisée dans l’Union Européenne, dans un, ou plusieurs États membres, et sous réserve que le produit ne soit pas utilisé hors AMM ou placé sous le régime de l’exemption hospitalière, à l’exception des médicaments dispensés dans le cadre des préparations magistrales (préparées par un pharmacien pour un patient donné),
- Un médicament et/ou une méthode utilisée pour une population de patients plus large que la population orpheline cible (par exemple, les corticoïdes ou antiépileptiques avec des étiquettes larges),
- Une thérapie non pharmacologique (par exemple une chirurgie, une radiothérapie, un régime) considérée comme un traitement de référence, conformément aux recommandations actuelles.
Deux autres méthodes thérapeutiques satisfaisantes ont été identifiées. La première implique l’utilisation de produits anciens non utilisés et l’utilisation de produits nouvellement approuvés. De telles méthodes de traitement peuvent devenir problématiques, notamment pour les maladies orphelines pour lesquelles il existe de nouveaux médicaments et des changements dans les pratiques cliniques.
Par exemple, de nombreuses options thérapeutiques existent en oncologie, mais leur utilisation clinique dans la pratique n’est pas souvent standardisée (comme les traitements du myélome multiple).
La deuxième méthode s’applique lorsqu’une condition orpheline est une maladie à large spectre. Dans ce cas, les médicaments et les méthodes sont autorisés pour le traitement (ou la prévention ou le diagnostic) de symptômes plutôt que pour la maladie elle-même. A titre d’exemple, nous pouvons citer les médicaments anticonvulsifs autorisés dans le traitement de certains types de crises spécifiques, et qui sont donc approuvés dans des conditions spécifiques pour différents types de crises épileptiques.
Le COMP s’attend à ce qu’une discussion comparative soit basée sur les données disponibles démontrant clairement un bénéfice, une amélioration de l’efficacité et de la sécurité du produit versus les méthodes existantes, ou une contribution majeure dans la prise en charge des patients.
L’EMA approuvera les preuves basées sur le dossier de demande incluant les données non cliniques et/ou cliniques qui démontrent un bénéfice pour la maladie ou la population de patients ayant un besoin médical non couvert par les médicaments autorisés, une amélioration de l’effet sur des aspects communs traités ou par la juxtaposition des traitements, ou par l’addition du produit, quand celui-ci est proposé en association avec les traitements standards. (2)
La plupart des cas de bénéfice significatif ont été argumentés sur la base d’une amélioration de l’efficacité (4). Le COMP n’est pas en faveur des arguments basés sur l’amélioration de la sécurité car la plupart des produits sont dans des phases de développement précoce au moment de la préparation de la soumission de la demande du statut orphelin. Dans tous les cas, les allégations de sécurité accrues doivent être accompagnées d’une efficacité comparable.
Les arguments basés sur une contribution majeure dans la prise en charge des patients (telle qu’une amélioration de la qualité de vie, incluant un mode d’administration plus convenable ou une amélioration de la disponibilité du produit) sont considérés comme des éléments relevant uniquement des aspects liés à l’efficacité et à la sécurité.
Il incombe au demandeur de réunir les informations les plus précises et à jour sur les bonnes pratiques de santé en vigueur dans l’Union Européenne (dans son ensemble et/ou dans les différents États membres, s’il existe des différences).
Le demandeur doit discuter de manière comparative, et en mettant clairement en évidence les bénéfices significatifs du produit faisant l’objet de la demande en se basant sur ces données. L’EMA a mis à disposition des directives officielles sur les informations requises pour soutenir l’hypothèse des bénéfices significatifs pour une désignation orpheline (5).
Soumission d’une demande de désignation de médicament orphelin aux États-Unis
Une des différences marquantes entre la demande de statut de médicament orphelin aux États-Unis (désigné sous le nom de Orphan Drug Product Designation, ODPD) et la demande dans l’Union Européenne est l’absence aux Etats Unis de la démonstration d’un bénéfice significatif pour le médicament ciblant la même indication qu’un médicament déjà sur le marché. En général, le format du dossier américain est plus succinct avec une importance accordée en particulier aux données d’efficacité générées par les études conduites par le demandeur. Comme dans l’Union Européenne, un fabricant d’une thérapie désignée comme médicament orphelin aux États-Unis peut bénéficier d’incitations spécifiques. Elles incluent des crédits d’impôt pour les essais cliniques, l’exemption de redevances, ainsi que sept ans d’exclusivité commerciale après l’AMM.
La FDA approuve plus de médicaments en oncologie avec une désignation de médicament orphelin que l’EMA et en particulier les médicaments indiqués en oncologie définis comme des sous-ensembles basés sur des biomarqueurs de cancers les plus courants (40 % par la FDA et 10 % par l’EMA) (6).
Définition de la FDA d’un médicament orphelin
La FDA définit une maladie ou une condition rare comme toute maladie ou condition qui répond à l’un des critères suivants : – maladie affectant moins de 200 000 personnes aux États-Unis, – maladie affectant plus de 200 000 personnes aux États-Unis et pour laquelle il est peu probable que les coûts de développement et de commercialisation aux États-Unis du médicament soient rentables dans les sept ans suivant son approbation par la FDA. Les décisions prises en vertu de la phrase précédente à l’égard de tout médicament doivent être fondées sur les faits et les circonstances à la date à laquelle la demande de désignation du médicament en vertu de la présente sous-section est présentée |
Suivi de la réalisation ODD
Un bénéfice significatif doit être évalué au moment de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), lorsque le COMP examine également le statut orphelin d’un médicament qui a obtenu une ODD. En l’absence de confirmation du statut d’orphelin, y compris la justification d’un bénéfice significatif, un produit peut toujours accéder au marché mais en tant que médicament non orphelin, perdant ainsi le droit de 10 ans d’exclusivité commerciale au sein de l’UE.
Pour justifier un bénéfice significatif en amont de l’AMM, le demandeur doit démontrer que les changements des pratiques cliniques et des bonnes pratiques de prise en charge ont eu lieu au moment de l’approbation. Cela implique de démontrer les différences existantes, le cas échéant, entre la liste des méthodes satisfaisantes et cette même liste au moment de la demande initiale de l’ODD.
Par ailleurs, les comparaisons indirectes des études cliniques (en remplacement, ou en plus des comparaisons directes des études contrôlées) peuvent être évaluées pour démontrer un bénéfice significatif.
Cependant, la comparabilité peut être entravée par de grandes différences dans la population étudiée, la conception de l’étude, les comparateurs, les critères d’évaluation, et/ou les considérations statistiques. Ainsi, pour viser l’objectif d’un apport de bénéfice significatif, la méthodologie doit tendre à éliminer les facteurs de confusion. Cette évaluation permet de clarifier si les différences argumentées peuvent être attribuées aux interventions elles-mêmes (4).
En effet, certains médicaments ayant le statut ODD pourraient ne pas obtenir l’AMM. Cela représente 27,8% de toutes les désignations de médicaments orphelins accordés en Union européenne (d’après une analyse des médicaments orphelins dans l’Union européenne réalisée entre 2000 et 2012). La principale raison de cet échec est attribuée à l’absence d’efficacité clinique établie (77 % de non-obtention de l’AMM) (7, 8). Le pourcentage le plus élevé d’échecs concerne les thérapies traitants les maladies rénales, urinaires et reproductives (40%), suivies par celles traitants les maladies cardiovasculaires et respiratoires (37,3 %), dermatologiques (35,7%), oncologiques (31,7%), gastro-intestinales (31,6 %), neurologiques et psychiatriques (25,9 %) et enfin les maladies causées par des erreurs métaboliques congénitales (24,2 %) (8).
La phase de développement clinique atteinte représente également un facteur de risque spécifique pour les échecs des médicaments orphelins. La conception de l’étude, le choix du critère d’évaluation, l’analyse et la robustesse de la méthodologie sont tous des aspects importants des essais cliniques. Dans le cas des médicaments orphelins, ces études peuvent être problématiques pour les demandeurs.
Les essais cliniques des traitements orphelins sont souvent limités par le faible nombre de patients et un suivi inadéquat (9). En général, les médicaments orphelins qui atteignent la phase 3 ont un risque réduit d’échec (p < 0,01) (8).
L’assistance au protocole proposée par l’EMA peut aider à la conception d’essais cliniques et donc à la démonstration d’un bénéfice clinique significatif dans le cadre d’une indication orpheline désignée. Les médicaments orphelins ont un taux de réussite plus faible que les médicaments non orphelins, et les facteurs de réussite pour l’octroi de l’AMM sont souvent liés à la taille de l’entreprise et à la conformité aux avis scientifiques de l’EMA (4, 7).
Les demandeurs ont ainsi plus de chances d’obtenir l’AMM (80 %) lorsqu’ils reçoivent et respectent les recommandations de l’EMA sur le développement clinique que les demandeurs qui ne les respectent pas (36 %) (4, 7).
Fréquence des maladies rares
Selon l’Agence européenne des médicaments, entre 5 000 et 8 000 maladies rares touchent entre 6 et 8 % de la population au total (entre 27 et 36 millions de personnes dans l’Union européenne). La plupart de ces personnes souffrent de maladies qui touchent <1 personne sur 100 000. Environ 80 % des maladies rares ont des origines génétiques identifiées et touchent 3 à 4 % des bébés qui naissent. D’autres maladies rares sont le résultat de causes dégénératives et prolifératives. Les symptômes de certaines maladies rares peuvent apparaître à la naissance ou dans l’enfance. Plus de la moitié des maladies rares apparaissent à l’âge adulte, comme le carcinome des cellules rénales, le gliome et la leucémie myéloïde aiguë. Les connaissances médicales et scientifiques sur les maladies rares sont insuffisantes. Le nombre de publications scientifiques sur les maladies rares continue d’augmenter, avec une moyenne de cinq nouvelles maladies décrites chaque semaine dans la littérature médicale. Cependant, moins de 1 000 maladies rares bénéficient d’un niveau de connaissances scientifiques même minime. Il s’agit généralement des maladies rares les plus fréquentes. |
Vers le succès de l’ODD
Lors de la demande de statut ODD, le bénéfice significatif est un critère unique dans le cadre de la réglementation européenne pour les médicaments orphelins. Une demande réussie démontrera une justification claire du bénéfice d’un produit par rapport aux méthodes satisfaisantes existantes.
Pour certaines maladies orphelines, cette tâche peut s’avérer difficile à remplir en raison de l’interprétation et la compréhension des “méthodes satisfaisantes”, en particulier face à l’évolution des pratiques cliniques et aux nombreuses options thérapeutiques existantes. Cependant, le schéma américain pour obtenir le statut de médicament orphelin n’exige pas la démonstration d’un bénéfice significatif.
En Union européenne, l’obtention de l’AMM peut être plus difficile pour les médicaments orphelins que pour les médicaments non orphelins, car le bénéfice significatif doit être justifié pour pouvoir prétendre à l’exclusivité du marché européen. L’EMA offre des conseils d’experts sur le développement clinique des médicaments orphelins, ceci représente un avantage considérable pour l’obtention de l’AMM.
Pour aller plus loin : suggestion de lecture
Apte A, et al. Manufacture and Regulation of Cell, Gene, and Tissue Therapies, Part 2: Regulatory Guidelines. BioProcess Int. 19(4) 2021: 14–20; https://bioprocessintl.com/business/regulatory-affairs/manufacture-and-regulation-of-cell-gene-and-tissue-therapies-part-2-atmp-and-orphan-drug-regulation. EMA Orphan Drug Designation: Overview; https://www.ema.europa.eu/en/human-regulatory/overview/orphan-designation-overview.
FDA Designating an Orphan Product: Drugs and Biological Products; https://www.fda.gov/industry/developing-products-rare-diseases-conditions/designating-orphan-product-drugs-and-biological-products#:~:text=The%20FDA%20has%20authority%20to,credits%20for%20qualified%20clinical%20trials.
Scott C, et al. Rare Diseases — Biopharmaceutical Challenges Presented By Relatively Small Patient Populations. BioProcess Int. eBook October 2021; https://bioprocessintl.com/business/pre-clinical-and-clinical-trials/ebook-treatments-for-rare-diseases-challenges-presented-by-relatively-small-patient-populations.
Références
1 Sheean ME, et al. Defining Satisfactory Methods of Treatment in Rare Diseases When Evaluating Significant Benefit: The EU Regulator’s Perspective. Front. Med. 8, 2021:74, 4625; https://doi.org/10.3389/fmed.2021.744625.
2 Tsigkos S, et al. Regulatory Standards in Orphan Medicinal Product Designation in the EU. Front Med. 8, 2021; 698534. https://doi.org/10.3389/fmed.2021.698534.
3 Orphan Medicines Figures 2000–2020. European Medicines Agency: Amsterdam, Netherlands; https://www.ema.europa.eu/en/documents/other/orphan-medicines-figures-2000-2020_en.pdf.
4 Fregonese L, et al. Demonstrating Significant Benefit of Orphan Medicines: Analysis of 15 Years of Experience in Europe. Drug Discov. Today 23(1) 2017:90–100; https://doi.org/10.1016/j.drudis.2017.09.010.
5 EMA/COMP/15893/2009 Final: Recommendation on Elements Required to Support the Medical Plausibility and the Assumption of Significant Benefit for an Orphan Designation. European Medicines Agency: Amsterdam, Netherlands; https://www.ema.europa.eu/en/documents/regulatory-procedural-guideline/recommendations-elements-required-support-medical-plausibility-assumption-significant-benefit-orphan_en.pdf.
6 Vokinger KN, Kesselheim AS. Application of Orphan Drug Designation to Cancer Treatments (2008–2017): A Comprehensive and Comparative Analysis of the USA and EU. BMJ Open 9(10) 2019: e028634; https://doi.org/10.1136/bmjopen-2018-028634.
7 Hofer MP, et al. Marketing Authorisation of Orphan Medicines in Europe from 2000 to 2013. Drug Discov. Today 23(2) 2018:424–433; https://10.1016/j.drudis.2017.10.012.
8 Giannuzzi V, et al. Failures to Further Developing Orphan Medicinal Products After Designation Granted in Europe: An Analysis of Marketing Authorisation Failures and Abandoned Drugs. BMJ Open 7(9) 2017: e017358; https://doi.org/10.1136/bmjopen-2017-017358.
9 Winstone J, et al. Review and Comparison of Clinical Evidence Submitted to Support European Medicines Agency Market Authorization of Orphan-Designated Oncological Treatments. Orphanet J. Rare Dis. 10, 2016: 139; https://doi.org/10.1186/s13023-015-0349-z.